Kyle Pearce CC BY-SA 2.0

La montée des prix de l’essence révèle les algorithmes régissant le capitalisme

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Robert Gooding-Townsend, éditeur Science et Société

Vers la fin de février, le prix de l’essence à Vancouver a dépassé les 1.50$ le litre, ce qui représente une augmentation de 20¢ en seulement deux semaines. La cause de cette augmentation est la fermeture d’une raffinerie importante à Burnaby. Au même moment, Taiwan connaissait une pénurie de papier de toilette, qui était causée en partie par les feux de forêt au Canada. Quand un produit essentiel devient soudainement très rare, les conséquences varient du simple inconvénient à la panique générale.

Les feux de forêt de 2017 au Canada ont fait augmenté le prix de papier de toilette soudainement – à Taiwan. Les algorithmes qui sont utilisés pour la gestion des chaines logistiques ne peuvent atténuer les risques non-planifiés. Photos : (à gauche) Un feu de forêt dans la réserve Ashcroft vu de l’autre côté du lac Loon, C.-B. Photo par Shawn Cahill CC BY-SA 4.0; (à droite) par Santeri Viinamäki CC BY-SA 4.0

Qu’ont en commun ces deux histoires? Premièrement, elles montrent la vulnérabilité de notre économie face à des évènements imprévus. Ils nous poussent également à examiner nos processus économiques et chaines logistiques.

La raffinerie de Chevron à Burnaby, dont la fermeture a causé la hausse soudaine des prix de l’essence à Vancouver. Photo par Kyle Pearce CC BY-SA 2.0

Prenez par exemple les choix compliqués qui sont mis en cause dans la gestion des raffineries. Il existe des dizaines de types de gaz raffinés, qui sont chacun utilisés par différentes industries ayant différents niveaux de demande, et qui ont différents prix et propriétés chimiques. Changer la production d’une raffinerie est difficile et peut entrainer un arrêt temporaire des opérations. Un propriétaire de raffinerie peut posséder plusieurs raffineries, qui possèdent chacune différentes capacités de production, d’entreposage et d’expédition. Alors quelle quantité de quel type de carburant devrait produire chacune des raffineries, et où devrait-on l’expédier? Quand devrait-on effectuer les arrêts pour l’entretien de routine afin d’avoir le moins d’impact possible sur la production? Des millions de dollars sont en jeu, et ces questions deviennent alors trop compliquées à résoudre pour des humains. Il n’est donc pas surprenant que des ordinateurs fassent ses calculs. Ce qui est surprenant, toutefois, est que ces algorithmes sont du domaine public, et qu’ils existent depuis les années quarante.

Tout débute avec l’algorithme du simplexe. Ce dernier trouve des solutions aux programmes linéaires, qui sont des problèmes ayant plusieurs options pour arriver au même résultat désiré, et dont chacune des options est limitée par certaines contraintes. Dans l’exemple de la gestion d’une raffinerie, le but est de maximiser les profits, les options sont les différents niveaux de production de chacune des raffineries, et les capacités de chacune des raffineries ainsi que la demande pour chaque produit représentent les contraintes clés. En gros, l’algorithme commence par envisager une première solution – n’importe quelle solution réaliste, même si elle n’est clairement pas optimale – et l’améliore graduellement. L’algorithme se bute systématiquement sur les contraintes du problème et performe mieux à chaque fois par rapport au but final.

Par exemple, pour un problème de gestion d’une raffinerie, la première solution pourrait être de produire seulement un type de carburant. Une des premières étapes de l’algorithme pourrait être de produire autant de carburant de grade A que le marché demande; et les étapes finales pourraient être de produire un peu (ou plus) de carburants de grades B et C, et de basculer la production entre différentes raffineries. Chaque étape est relativement simple, mais le résultat final sera la solution à un problème assez compliqué.

Si vous voulez en savoir plus, visitez ces liens sur la programmation linéaire (commence de façon simple, long) et l’algorithme du simplexe (plus court, plus de mathématiques).

Un des premiers problèmes à démontrer l’efficacité de cet algorithme était celui d’assigner 70 travailleurs à 70 travaux. Cela prendrait plus de temps que la durée de vie de l’univers pour qu’un ordinateur travaille par élimination parmi les 10100 attributions possibles. Mais avec la méthode simplexe, ce problème peut être résolu en quelques minutes.

Cette figure est une représentation schématique simplifiée (en anglais) d’une seule des configurations possibles d’une raffinerie. Il n’est pas surprenant que des opérations si complexes soient planifiées en majorité par des algorithmes. Photo : Wikimedia Commons. Mbeychok derivative work: Begoon – This file was derived from RefineryFlow.png:, CC BY-SA 3.0

Contrairement à d’autres algorithmes dont on entend parler aux nouvelles, l’algorithme du simplexe n’est pas tape-à-l’Å“il ou insidieux. Il a été mis en place sur des ordinateurs centraux bien avant l’invention de Facebook. Les données proviennent de l’information interne des compagnies, et doivent seulement être organisées. Il est difficile d’être en désaccord avec le fait qu’une compagnie trouve la façon d’utiliser ses ressources le plus efficacement possible, et ce même pour les gens qui sont contre les pratiques commerciales de la dite compagnie.

Les pénuries se produisent lorsque les données qu’on procure à l’algorithme ne correspondent pas à la réalité. La direction d’une compagnie utilise normalement les données des années précédentes comme guide pour déterminer la demande, les prix des matériaux bruts, ainsi que d’autres facteurs. Ceux-ci peuvent être ajustés afin de refléter certaines tendances connues, comme l’inflation, la croissance de la population, le changement dans les tendances de consommation, etc. Les algorithmes peuvent également être réglés afin d’exécuter différents scénarios, afin qu’un plan soit développé pour différentes situations. Il ne peut toutefois pas créer un plan pour des changements impromptus, comme une saison de feux de forêts particulièrement sévère dans un autre pays. En fait, la capacité à trouver des solutions optimales avec des contraintes très importantes pourrait avoir l’effet inverse dans ces situations, car il y aura moins de jeu dans le système. L’algorithme peut alors être exécuté à nouveau afin de trouver la meilleure réponse à la nouvelle situation, mais il pourrait être trop tard.

C’est un compromis clé de cet algorithme; il peut introduire plus de vulnérabilité aux chocs, mais il sera beaucoup plus efficace lorsque les choses se déroulent en douceur. Plusieurs dirigeants acceptent bien évidemment ce compromis. Après tout, on ne se rend pas compte de toutes les pénuries qui ne se produisent pas.

L’algorithme du simplexe est à la base de la recherche sur les opérations, qui sous-tend la planification dans une multitude de domaines : la planification militaire, l’opération de raffineries, la programmation des lignes aériennes, l’optimisation de portfolios, la gestion d’inventaires, entre autres. Les besoins de l’industrie ont mené au développement de nouveaux domaines de recherche; la programmation stochastique, qui ressemble à l’approche par scénarios décrite plus tôt, et l’optimisation robuste, qui cherche à éviter les pires scénarios. Chaque année, les algorithmes utilisés dans ces domaines sont en charge de gérer des milliards de dollars en opérations. Bien sûr, des humains supervisent, mais des portions très importantes de notre économie sont fondamentalement contrôlées par des algorithmes.

Historiquement, l’adoption massive de cet algorithme se produisit lors de l’explosion technologique d’après-guerre. Comme plusieurs autres technologies de cette époque, il fut développé pour une utilisation militaire et a été adapté plus tard pour l’utilisation civile. Ironiquement, un algorithme qui instaure une planification et distribution centralisées a réussi en Amérique, mais a été négligé en Union soviétique, là où il avait été développé.

L’algorithme du simplexe a certainement mérité sa place dans l’histoire. Donc la prochaine fois que vous allez acheter quelque chose et que ce quelque chose est disponible, prenez le temps de penser à l’algorithme qui s’est assuré de le rendre disponible.

~30~

Cet article a été publié en anglais le 9 avril 2018 à Science Borealis. Il était traduit par Dominique Melançon.

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